CORPUS


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Lectures analytiques de formes fixées :
le sonnet au XXe siècle


À la manière de R. Queneau

Lorsqu'un jour exalté l'aède prosaïse
pour déplaire au profane aussi bien qu'aux idiots
la critique lucide aperçoit ce qu'il vise
il donne à la tribu des cris aux sens nouveaux

L'un et l'autre a raison non la foule insoumise
le vulgaire s'entête à vouloir des vers beaux
l'un et l'autre ont raison non la foule imprécise
à tous n'est pas donné d'aimer les chocs verbaux

Le poète inspiré n'est point un polyglotte
une langue suffit pour emplir sa cagnotte
même s'il prend son sel au celte c'est son bien

Barde que tu me plais toujours tu soliloques
tu me stupéfies plus que tous les ventriloques
le métromane à force incarne le devin

Sonnet de R. Queneau

 

Pour écrire, conseils de l'auteur :

Pour composer ces sonnets, il faut obéir aux règles suivantes :
1) Les rimes doivent être respectées
2) Chaque sonnet doit, sinon être parfaitement translucide, du moins avoir un thème et une continuité
3) Les verbes sont à l'indicatif présent (?), les v 3 et 7 ont un GN féminin
4) Il faut composer en alexandrins...


Georges Fourest

Sonnet parodique

Le palais de Gormaz, comte et gobernador,
Est en deuil : pour jamais dort couché sous la pierre
L'hidalgo dont le sang a rougi la rapière
De Rodrigue appelé le Cid Campeador.

Le soir tombe. Invoquant les deux saints Paul et Pierre
Chimène, en voiles noirs, s'accoude au mirador
Et ses yeux dont les pleurs ont brûlé la paupière
Regardent, sans rien voir, mourir le soleil d'or...

Mais un éclair soudain fulgure en sa prunelle :
Sur la place Rodrigue est debout devant elle !
Impassible et hautain, drapé dans sa capa,

Le héros meurtrier à pas lents se promène :
"Dieu !" soupire à part la plaintive Chimène,
"Qu'il est joli garçon l'assassin de Papa!"


Georges Pérec (1936-1982)

un "lipogramme"

Sois soumis, mon chagrin, puis dans ton coin sois sourd.
Tu la voulais la nuit, la voilà, la voici :
Un air tout obscurci a chu sur nos faubourgs,
Ici portant la paix, là-bas donnant souci.

Tandis qu'un vil magma d'humains, oh, trop banals,
Sous l'aiguillon Plaisir, guillotin sans amour,
Va puisant son poison aux puants carnavals,
Mon chagrin, saisis-moi la main; là, pour toujours,

Loin d'ici. Vois s'offrir sur un balcon d'oubli,
Aux habits pourrissants, nos ans qui sont partis;
Surgir du fond marin un guignon souriant ;

Apollon moribond s'assoupir sous un arc,
Puis ainsi qu'un drap noir traînant au clair ponant,
Ouïs, Amour, ouïs la Nuit qui sourd du parc.