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Sonnets du XVIe siècle


Etienne Jodelle (1532-1573)

Des astres, des forêts et d'Achéron l'honneur,
Diane, au monde haut, moyen et bas préside,
Et ses chevaux, ses chiens, ses Euménides guide,
Pour éclairer, chasser, donner mort et horreur.

Tel est le lustre grand, la chasse et la frayeur
Qu'on sent sous ta beauté claire, prompte, homicide,
Que le haut Jupiter, Phébus et Pluton cuide
Son foudre moins pouvoir, son arc et sa terreur.

Ta beauté par ses rais, par ses rets, par la crainte
Rend l'âme éprise, prise, et au martyre étreinte :
Luis-moi, prends-moi, tiens-moi, mais hélas ne me perds.

Des flambants, forts, et griefs, feux, filets, et encombres,
Lune, Diane, Hécate, aux cieux, terre, et enfers
Ornant, guêtant, gênant, nos dieux, nous, et nos ombres.


Louise LABÉ (1526-1565)

Sonnet VII (1554)

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie.
J'ai chaud extrême en endurant froidure ;
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout à un coup je ris et je larmois,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure ;
Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup, je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène.
Et quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.


Louise Labé (1526-1565)

Sonnet XVII (1554)

Baise m'encor, rebaise-moi et baise :
Donne m'en un de tes plus savoureux,
Donne m'en un de tes plus amoureux :
Je t'en rendrai quatre plus chauds que braise.

Las, te plains-tu ? çà, que ce mal j'apaise
En t'en donnant dix autres doucereux.
Ainsi mêlant nos baisers tant heureux
Jouissons nous l'un de l'autre à notre aise.

Lors double vie à chacun en suivra,
Chacun en soi et son ami vivra.
Permets m'amour penser quelque folie

Toujours suis mal, vivant discrètement,
Et ne me puis donner contentement,
Si hors de moi ne fais quelque saillie.


Du Bellay (1522-1560)

L'Olive, X

Ces cheveux d'or sont les liens, Madame,
Dont fut premier ma liberté surprise
Amour la flamme autour du coeur éprise,
Ces yeux le trait qui me transperce l'âme.

Forts sont les noeuds, âpre et vive la flamme,
Le coup de main à tirer bien apprise,
Et toutefois j'aime, j'adore et prise
Ce qui m'étreint, qui me brûle et entame.

Pour briser donc, pour éteindre et guérir
Ce dur lien, cette ardeur, cette plaie,
Je ne quiers fer, liqueur, ni médecine :

L'heur et plaisir que ce m'est de périr
De telle main ne permet que j'essaie
Glaive tranchant, ni froideur, ni racine.


Du Bellay (1522-1560)

Regrets, XXXI

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison,
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine;

Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine.